Suite à la demande de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes (DGCCRF) datant de juillet 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (ANSES) s’est penchée sur les conséquences de l’exposition des enfants aux champs électromagnétiques (CEM) de radiofréquences. Cette initiative s’inscrivait dans le prolongement de la décision de l’agence sur le cancer de l’OMS (CIRC), qui, le 31 mai 2011, avait officiellement reconnu que les CEM étaient « possiblement cancérogènes », en les classant dans la catégorie 2b.
Vendredi 08 juillet 2016, l’ANSES a publié ce rapport d’expertise.
Celui-ci, intitulé Exposition aux radiofréquences et santé des enfants, conforte la décision de l’OMS, même si les formulations choisies pour rendre son avis sont prudentes, voire frileuses et parfois alambiquées.
Reste qu’il pourrait connaître un retentissement médiatique important, d’autant qu’il est centré sur les effets de l’utilisation du téléphone mobile par des publics jeunes.
C’est qu’en mettant en effet sérieusement en garde le public sur les effets de l’exposition des enfants aux émissions des CEM, la publication de Exposition aux radiofréquences et santé des enfants est susceptible de faire l’effet d’un électrochoc sur de nombreux parents.
Ceux-ci sont invités à faire preuve de vigilance, c’est tant mieux. Mais voilà des années que les ONG qui militent pour une réglementation plus protectrice de la santé réclament de grandes campagnes de prévention, spécialement à destination des jeunes utilisateurs de téléphones mobiles !
Il est quand même surprenant que l’ANSES laisse à la seule responsabilité des parents cette charge protectrice et qu’elle ne se préoccupe pas des campagnes de prévention. Ce faisant, l’ANSES ne met donc pas l’Etat devant ses responsabilités, qui consiste à aider les parents à convaincre leurs enfants –sachant que ses recommandations sont aussi valables pour les adultes. Or, nous savons tous parfaitement qu’il est absolument impossible de se faire entendre par les jeunes sans ces campagnes.
Ce n’est pas tout. Et, à cette heure, il semble qu’une information essentielle que révèle ce document soit encore passée inaperçue.
Les normes protectrices du DAS sont mensongères
En effet, en pages 3 et 6 de son avis (qui en compte 17 en avant-propos d’un rapport de 298 pages), l’ANSES fait référence à une étude réalisée par l’Agence nationale des fréquences (ANFR) en 2015, et elle en dit assez : ci-dessous la capture d’écran.
Que penser en découvrant pareille information ? L’ANFR détient la preuve que la très grande majorité des constructeurs mentent sur les normes qui sont censées protéger les utilisateurs ! Et ce, depuis au moins un an… signe d’une extrême discrétion, dont paraît s’être inspirée l’ANSES, qui, elle, détient cette preuve depuis un an, à quelques jours près.
En effet, le DAS ou Débit d’absorption spécifique indique le niveau de rayonnement électromagnétique émis par un téléphone mobile au-delà duquel il peut exister un risque pour la santé des utilisateurs.
Celui-ci varie selon les appareils des constructeurs. Cependant, ceux-ci sont tenus de respecter des normes, que précise le décret du 08 octobre 2003 : elles doivent être inférieures à 2W/kg au niveau du tronc et de la tête.
Un futur scandale façon Volskwagen qui dépasse les frontières de l’Hexagone
Autrement dit, l’information majeure de ce rapport de l’ANSES est que des constructeurs de téléphones mobiles enfreignent la loi. Pire, qu’ils nous mentent puisque l’affichage informatif du DAS est obligatoire depuis le 12 juillet 2010 (affichage publicitaire effectivement compris depuis le 15 novembre 2011)- c’est d’ailleurs ainsi que des comparaisons peuvent être effectuées en matière de performance entre les différents constructeurs.
Après avoir mené une bataille homérique lors du Grenelle des ondes (qui s’était ouvert le 23 avril 2009), les ONG avaient obtenu que l’Etat édicte cette loi.
Les ONG tenaient en effet farouchement à ce que les consommateurs puissent, pour protéger leur santé, acquérir leur téléphone mobile en toute transparence, c’est-à-dire en ayant la possibilité de choisir parmi les modèles affichant et vantant les DAS les plus faibles.
On s’aperçoit aujourd’hui ce que vaut cet acquis… et ce qu’il a finalement peut-être toujours valu. En effet, comment cette liberté d’un choix mieux éclairé s’est-elle en réalité exercée si le mensonge des constructeurs est possible ?
Après une première lecture de ce rapport (298 pages) et une rapide revue de presse, dont la consultation de l’article de Pierre Le Hir dans Le Monde hier matin, j’ai téléphoné à la journaliste Fabienne Ausserre qui s’intéresse avec moi à ces sujets de CEM. Ensemble, nous avons décidé de nous procurer l’étude de l’ANFR sur laquelle s’appuie, entre autres, l’ANSES pour rendre son avis. Elle a aussitôt téléphoné à l’ANFR. Et bien, le jour du dévoilement de l’existence de son étude, personne au service communication n’était joignable… A son mail qui réitérait la communication de cette étude, elle n’a toujours pas de réponse. Elle a alors joint l’ANSES. Cette fois, son interlocutrice au service communication s’est dite incapable de savoir de quelle étude elle parlait… alors que, de son propre aveu, elle était débordée par les demandes d’interviews depuis la publication des conclusions du rapport sur le site du Monde. Il fallait lui adresser un mail pour qu’elle effectue des recherches, en précisant qu’elle n’avait pas cette étude en sa possession… comme si sa mémoire s’était brusquement réveillée. Elle se dépêcherait d’y répondre. Un engagement non tenu.
Récemment, avec la révélation de pratiques trompeuses de ce type, Volskwagen a plongé dans la tourmente… Une tourmente internationale qui lui coûte des milliards d’euros de sanctions et une atteinte considérable à son image publique.
Pas plus tars qu’hier, Le Monde a révélé un nouveau scandale concernant l’étiquetage alimentaire.
Combien d’affaires fracassantes faudra-t-il apprendre pour que l’Etat agisse ?
Dès que la réception des résultats de cette étude ANFR, sans doute en début de semaine prochaine, j’écrirai à la DGCCRF afin qu’elle se saisisse des « questions majeures » que soulèvent ses résultats pour la santé des utilisateurs, tant en France que dans l’ensemble des pays concernés.
Nul doute que la DGCCRF, sous l’autorité de l’Etat, devra saisir la justice.
Une étude qui embarrasse ? (actualisation du 14 juillet 2016)
Depuis que nous avons révélé que le rapport de l’ANSES (et publié par ses soins) Exposition aux radiofréquences et santé des enfants mettait à jour la tricherie de la majorité des constructeurs de téléphones portables, nous avons joint l’ANFR et l’ANSES, chacune à plusieurs reprises, afin que l’étude ANFR citée par l’ANSES nous soit transmise. À cette heure, nous n’avons toujours rien reçu. En outre, hier soir 13 juillet 2016, l’ANSES nous a opposé un refus, en renvoyant la charge de cette transmission à l’ANFR, dont elle s’était rapprochée entretemps. Sur un sujet aussi sensible, transparence n’est pas au rendez-vous.
Vous ne savez pas ce qu’est le DAS ? Voici des explications (actualisation du 16 juillet 2016)
Qu’est-ce qu’un DAS* ?
Eh bien, en utilisant un téléphone mobile, une partie de l’énergie électromagnétique qu’il dégage est absorbée par notre corps : la valeur maximale de cette quantité pour un appareil est le Débit d’absorption spécifique (DAS) de cet appareil. L’unité de mesure du DAS est le watt par kilogramme (W/kg).
L’indice DAS permet donc de connaître le niveau de radiofréquences émis par le téléphone portable vers l’utilisateur, lorsqu’il fonctionne à pleine puissance et dans les pires conditions. En raison des risques potentiels pour la santé, le DAS fait l’objet d’un encadrement réglementaire. Pour déterminer la valeur de DAS d’un téléphone portable, on mesure principalement la puissance absorbée par la tête et le tronc, mais aussi par le corps entier en moyenne.
En Europe, la valeur à ne pas dépasser, pour une exposition au niveau tête et tronc, est de 2W/kg, mesurée sur 10 grammes de tissu; elle est de 0,08W/kg pour le corps entier. Les Etats-Unis se montrent beaucoup plus exigeants, en imposant, pour une exposition tête et tronc, une valeur limite de 1,6W/kg qui, surtout, est mesurée sur 1 gramme de tissu. Cependant, pour être complets, signalons que l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) fait état d’un « DAS local membre », dont la valeur limite indiquée est de 4W/kg.
En comparaison, les mesures auxquelles a abouti l’étude ANFR citées dans le rapport de l’ANSES Exposition aux radiofréquences et santé des enfants sont au-delà des valeurs réglementaires.
*source ANFR : http://www.anfr.fr/controle-des-frequences/exposition-du-public-aux-ondes/das-les-controles/#menu2
** source l’INERIS: http://www.ineris.fr/ondes-info/content/valeurs_limites_exposition
photo par Alain Bachelier