« Nocivité des téléphones portables : les conditions irréalistes des tests »

C’est une première…Merci à Françoise Laugée, Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 – IREC  pour cet article universitaire de « l’Institut de recherches et d’études sur la communication (Université Paris II Panthéon-ASSAS) » sur le scandale sanitaire et industriel du #Phonegate. N’hésitez-pas à le relayer.

Nocivité des téléphones portables : les conditions irréalistes des tests

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Un « phonegate », selon l’expression inventée par Pierre Le Hir, journaliste au Monde, pourrait éclater, un nouveau scandale sanitaire dû à une trop forte exposition aux ondes émises par les smartphones.

Le 20 avril 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rendu une décision favorable à l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Ayant notamment pour mission de veiller au respect des valeurs limites d’exposition du public aux ondes radioélectriques, ainsi que de contrôler la conformité des équipements et des terminaux, cet établissement public était poursuivi en justice pour rétention d’informations par le médecin Marc Arazi, qui fut négociateur, lors du « Grenelle des ondes » en 2012, pour le compte de l’association Priartem (Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques) et ancien maire adjoint de Nogent-sur-Marne, chargé de l’environnement et du cadre de vie. Et ce, malgré l’avis favorable délivré en novembre 2016 par la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) de communiquer les données en possession de l’ANFR avant le 29 décembre 2016.

L’affaire porte sur des tests de téléphones portables effectués, comme chaque année sur environ 80 appareils, à la demande de l’ANFR, par des laboratoires accrédités, afin de contrôler le rayonnement électromagnétique et radio des appareils, mesuré par le DAS – débit d’absorption spécifique – calculé en watts par kilogramme. La directive européenne dite R&TTE de 1999 fixe le seuil limite à 2 W/kg pour l’exposition au niveau de la tête et du tronc de l’utilisateur, à 4 W/kg pour les membres, les tests concernant le corps devant être effectués à une distance maximale de 25 mm de la peau. C’est un rapport intitulé « Exposition aux radiofréquences et santé des enfants » publié en juillet 2016 par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui a mis le feu aux poudres. Dénonçant l’existence possible d’effets nocifs des ondes sur la santé des enfants, l’Agence de sécurité sanitaire insiste notamment sur la nécessité de respecter les valeurs limites d’exposition réglementaires, quelles que soient les conditions d’utilisation d’un téléphone portable, notamment au contact du corps.

Et surtout, afin de renforcer ses préconisations, l’Anses donne les résultats de mesures d’exposition aux ondes réalisées à l’initiative de l’ANFR. Si les tests doivent être effectués au contact de l’appareil au niveau de la tête, la règle à suivre est plus floue concernant les tests au niveau du reste du corps. À une distance du tronc de 15 mm, aucun dépassement de la norme autorisée n’est constaté sur un échantillon de 95 téléphones portables commercialisés entre 2012 et 2014, ainsi que 71 autres en 2015. En revanche, la mesure prise de l’exposition aux ondes lorsque l’appareil se trouve au contact du tronc révèle un DAS supérieur à 2 W/kg pour 89 % des téléphones testés en 2015 et même un DAS supérieur à 4 W/kg pour 25 % d’entre eux, allant jusqu’à 7 W/kg pour quelques appareils. Si les fabricants de téléphones portables prennent la précaution d’indiquer dans la notice d’utilisation (ignorée de fait par leurs clients, comme on le sait, faute d’être lisible) qu’une certaine distance entre le corps et l’appareil doit être respectée, l’ANFR note tout de même que 25 % des téléphones ayant un DAS supérieur à la norme ne fournissent aucune information à ce sujet. En outre, dans les laboratoires des fabricants, qui utilisent des mannequins d’eau et de sucre pour évaluer l’exposition aux ondes au niveau de la tête et des cuves d’eau pour les tests au niveau du corps, les mesures effectuées contrôlent seulement les effets thermiques de l’énergie dégagée par un téléphone portable sur les tissus biologiques, à l’exclusion d’autres risques potentiels comme les cancers.

En considérant qu’un téléphone portable est aujourd’hui un objet au contact permanent du corps de son utilisateur, qui le garde bien souvent dans une poche de pantalon ou de veste, et sans oublier que, même en veille, l’appareil reste connecté à l’antenne-relais la plus proche, la non-divulgation par l’ANFR des résultats de ses expertises constitue un « défaut d’information au public » selon le lanceur d’alerte Marc Arazi, qui accuse l’Agence de « cultiver l’opacité ». Ce à quoi Gilles Brégant, directeur de l’ANFR, oppose le respect de la procédure administrative prévue par le code des postes et télécommunications, selon laquelle les résultats obtenus, dans le cadre du pouvoir de contrôle de l’Agence, ne peuvent être communiqués qu’aux acteurs de l’infraction (et non aux consommateurs).

L’ANFR n’est, en effet, pas autorisée à communiquer les mesures qu’elle effectue au titre de sa mission de contrôle des équipements électroniques. En cas de non-conformité constatée, elle prend les sanctions qui s’imposent contre le fabricant. Le directeur de l’ANFR explique également, concernant l’avis favorable à la publication des données exprimé par la Cada, qu’il s’agit d’« un conflit de normes », la Commission s’étant appuyée exclusivement sur le code de l’environnement pour prendre sa décision.

C’est dans le cadre de la transposition en droit interne de la nouvelle directive européenne de 2014, dite RED, abrogeant celle de 1999 et effective à partir du 13 juin 2016, que la France, à l’initiative de l’ANFR, a obtenu un durcissement du protocole des tests effectués au niveau du corps. Ainsi, dans une décision du 5 avril 2016, la Commission européenne, répondant favorablement à une demande de la France, a reconnu que « pour les mesures du DAS au niveau du tronc (limite 2 W/kg), une distance de séparation ne dépassant pas quelques millimètres peut être utilisée ». En conséquence, l’ANFR pratique désormais des tests à une distance de 5 mm du tronc pour les appareils commercialisés depuis avril 2016. Mais qu’en est-il alors de tous les téléphones portables déjà en service pour lesquels aucune mesure n’a été encore prise, ni aucun avertissement spécifique formulé à l’adresse de leur utilisateur. Chaque année, plus de 20 millions d’appareils sont vendus en France.

Ces nouvelles règles de tests laissent encore trop de marge aux fabricants, selon Marc Arazi, accompagné dans sa démarche par la journaliste Fabienne Ausserre. Ils militent ensemble pour un DAS mesuré au contact du corps, comme seule norme véritablement protectrice. « Les résultats obtenus par l’ANFR montrent que des dizaines de millions de jeunes en Europe ont un téléphone qui pose problème. On ne peut pas dire “je change la norme et je laisse faire” uniquement pour protéger les fabricants », explique-t-il.

Renonçant à se pourvoir devant le Conseil d’État à la suite de la décision rendue par le juge des référés en avril 2017, Marc Arazi évoque notamment le coût de la procédure, ainsi que « la difficulté de trouver un conseil n’ayant pas de conflits d’intérêts avec les industriels de la téléphonie mobile ». Le lanceur d’alerte dit envisager « des voies juridiques alternatives », tout en continuant à sensibiliser les consommateurs, en particulier ceux utilisant un portable acheté avant juin 2016. Ces consommateurs qui, par manque d’information claire et précise, croient encore dans leur grande majorité que le risque encouru est uniquement lié à une conversation prolongée avec un téléphone portable collé à l’oreille.

Le 11 avril 2017, le tribunal d’Ivrea, dans le nord de l’Italie, a reconnu l’existence d’un lien entre l’apparition d’une tumeur bénigne du cerveau chez un salarié et l’usage professionnel de son téléphone portable, de trois à quatre heures par jour pendant quinze ans. Devenu sourd de l’oreille droite, cet homme de 57 ans va recevoir une rente à vie à la suite de cette décision judiciaire. Se référant à des centaines d’études épidémiologiques, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) estime qu’il existe un lien probable entre l’usage du téléphone portable et l’apparition de tumeurs du cerveau ou d’un nerf de l’audition (gliomes et neurinomes de l’acoustique).

Sources :

  • « Soupçons sur les ondes des téléphones portables », Pierre Le Hir, Le Monde, 24-25-26 décembre 2016.
  • Décision d’exécution (UE) 2016/537 de la Commission du 5 avril 2016, Journal officiel de la Commission européenne, eur-lex.europa.eu, 6 avril 2016.
  • « Ondes : pas d’accès aux mesures de contrôle des téléphones portables », AFP, SciencesetAvenir.fr, 12 janvier 2017.
  • « Téléphonie mobile : la justice saisie par deux lanceurs d’alerte », Romain Loury, journaldelenvironnement.net, 19 avril 2017.
  • « Un tribunal italien reconnaît le lien tumeur/portable », avec AFP, LeFigaro.fr, 20 avril 2017.
  • « Phonegate : Pas de pourvoi devant le Conseil d’État face à l’ANFR », communiqué, blog de Marc Arizi, arazi.fr, 11 mai 2017.
  • « Téléphonie mobile : les normes actuelles sont-elles protectrices ? », Virginie Bagouet, APMnews, 17 mai 2017, article publié sur le blog de Marc Arazi, arazi.fr, 20 mai 2017.

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Dr Marc Arazi

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