La France a, ces jours-ci, les yeux braqués sur la terre battue de Roland-Garros. Ce n’est pas tant le tennis que l’affrontement de champions qui nous fascine. Leur lutte solitaire, de part et d’autre du court. Le spectacle tient à la mise à nu des états d’âme des joueurs. Roland-Garros n’est pas qu’un grand rendez-vous sportif. Il est aussi le théâtre de confrontations des caractères. La représentation de conversations d’homme à homme, sur fond de poussière ocre. La France se régale. Je me régale. Le Pays est mobilisé devant les écrans.
L’excitation collective soude les cœurs. La Nation apparaît unie. Malgré son image fragmentée. Mais après tout, la fièvre n’est-elle pas la même dans les tribunes (parfois très éloignées) des citoyens lambda et dans le carré bien gardé (et idéalement placé) de la tribune présidentielle où paradent en première semaine des étudiants de Polytechnique ?
Eh bien, je ne le crois pas. Je pense que, pour nos élites (dans le carré spécial), la fièvre est plus grande. Car elle est, au moins, composite. Le seul plaisir d’assister au spectacle de conversations d’homme à homme n’explique pas que ces élites soient là. Il y en a un autre : celui d’assister à la représentation depuis un lieu réservé aux privilégiés. De ne pas mêler ses émotions à celles du grand public. A celle du reste de la Nation. Et ostensiblement de ne pas se mélanger.
Un hiatus entre l’intérêt de la Nation et l’intérêt général
Or, nos jeunes étudiants coiffés de ces étranges bicornes sont appelés à participer demain à sa gouvernance, le reste inclus. Et voilà que, pour symboliser la grandeur de leur destin, leurs pairs leur apprennent à se tenir à l’écart, dans un carré. Qu’on leur apprend que leur mérite ne vaudra vraiment que s’ils apprennent à s’y tenir. Que l’intérêt de la Nation tient à leur cantonnement. Mais qu’ils seront appelés à servir l’intérêt de tous.
J’en arriverais à penser que nos élites sont formées pour inventer, à tour de générations, un hiatus entre l’intérêt de la Nation et l’intérêt général. C’est, pour la Nation –dont son reste – la contrepartie de leur mérite. On le leur avait promise. Elle a parfois fondé leur volonté à se montrer méritants. S’ils cravachaient pendant leurs études, alors ils rejoindraient le petit carré.
Le bien-être de tous sans être bien avec le tout.
A eux de savoir comment y rester. Leur carrière consisterait à prendre des décisions au nom de l’intérêt général et à se défendre du reste de la Nation. A penser pour le bien être du tout sans être bien avec le tout. A agir pour la Nation, mais à ne pas y tremper. Nos élites semblent d’abord formatées pour décider de comment conserver leur rang d’élites.
Avec la peur d’être un jour exclues du petit carré –incarnation de leur privilège de décider. A elles donc de trouver des passerelles entre l’intérêt de la Nation et l’intérêt général, qu’on leur a appris à distinguer. A elles de trouver des objectifs profitables à la Nation et à l’intérêt général, sachant qu’elles doivent entretenir une distance entre l’une et l’autre –le fameux décalage symbolisé par le petit carré. A elles de dégager des solutions à mi-parcours entre les deux espaces.
Renouveler la symbolique politique !
Du moment que les frontières de l’un et de l’autre ne deviennent pas poreuses. Des moyens termes, au sens de compromis (et non de solutions négociées) pour sauver l’isolement des deux parties d’un Tout théorique. Des arrangements, les élites sont d’abord programmées pour procéder à des arrangements. Sachant que ceux-ci valent toujours mieux entre amis. Liés par la crainte (en réalité, pire) que leur solidarité de circonstances cède, comme un verrou sauterait. Unis par le risque que les cloisons de notre société morcelée s’effondrent.
En suivant –comme nous tous – l’épopée de Roland-Garros, je vois, dans la possibilité de la coexistence du petit carré de bicornes et des tribunes du grand public, le symbole d’une société clivée. J’envisage l’idée de rapprocher le petit carré des tribunes afin que les deux mondes diffusent. Cette représentation politique de la société –les symboles sont l’expression la plus crue de la politique – ne me va pas. J’en veux une autre.
N’hésitez-pas à me renvoyer la balle….Et je souhaite à Jo-Wilfried Tsonga tout le meilleur pour réussir l’exploit de gagner RG trente ans après Yannick Noah !
*Photo d’illustration de Yann Caradec (
Bien écrit ! Entièrement d’accord avec l’esprit de l’article avec malgré tout une légère réserve, en partie liée à quelques raccourcis discutables. Le microcosme des grandes écoles n’est pas forcément le reflet de ceux qui gouvernent…
merci d’avoir renvoyé la balle:)
Oui il y a des raccourcis, c’est la difficulté qu’en on veut être synthétique pour être lu. Tout à fait d’accord avec votre remarque et votre commentaire.
J’attends les autres articles avec impatience 😉
Je ne suis certes pas d’accord sur tout mais je concède que votre manière de faire bouger les lignes au niveau de la municipalité m’enthousiasme…
Bonne route !
Encore merci pour votre message que j’apprécie sincérement