« Est-ce le grand retour du gaz de schiste », c’est par cette phrase choc que débute l’article du journal le Parisien Val de Marne du mercredi 28 mars 2012. Une audition des services de l’Etat a eu lieu au Conseil Général. Et l’on apprend qu’un permis de recherche d’hydrocarbures pourrait être prochainement délivré dans le Val de Marne. Notre Conseiller Général (Jacques JP Martin) n’a à ma connaissance, ni informé, ni donné son avis aux Nogentais sur les conséquences environnementales pour notre territoire. Plusieurs élus se mobilisent et je tiens à remercier Yves Fuchs, Conseiller Municipal de Champigny qui m’autorise à publier l’article complet paru, à ce sujet, sur le site du Forum des boucles de la Marne.
GAZ DE SCHISTE: POUR PRENDRE POSITION
Les « gaz de schistes » représentent une réserve énergétique potentielle importante pour l’avenir. Des oppositions fortes se manifestent contre les procédés d’exploitation dont l’impact sur l’environnement pose problème. Face à une mobilisation grandissante des défenseurs de l’environnement le gouvernement avait décidé le 4 février 2011 d’un moratoire sur les permis de recherche précédemment accordés. Mais les pétroliers reviennent à la charge. Le permis de Chevry couvre le 77 et une partie du 94 (dont la commune de Champigny) voir carte ci-dessous
Le périmètre du permis de Chevry (le rectangle noir indique Champigny)
Il faut préciser quelques points concernant les hydrocarbures (gaz pétrole gaz de schistes) contenus dans les roches. Leur origine est simple. Il s’agit de matière organique la plupart du temps d’origine biologique qui a subi des transformations lors de l’enfouissement des sédiments où elles se trouvaient. Les transformations bactériennes et/ou chimiques donnent des hydrocarbures dont le plus simple est un gaz le méthane et d’autres plus complexes les pétroles.
Le méthane et tous autres hydrocarbures, liquides ou gazeux peuvent migrer si la roche où ils trouvent est perméable. Ils sont plus légers que l’eau et peuvent même venir en surface donnant des suintements de pétrole (observés par Marco Polo dès le XIIIè siècle près de la Caspienne durant son voyage vers la Chine)
Parfois les fluides restent captifs dans certaines structures géologiques, sous une formation non perméable : ce sont les gisements de gaz et/ou de pétrole classiques là ou les hydrocarbures imprègnent une roche perméable. Ce pétrole jaillit lors d’un forage du fait des pressions ou bien doit être pompé
Déjà Astérix et Obélix (L’Odyssée d’Astérix)
Le « gaz de schiste » est différent. Dans ce cas la roche d’origine (les pétroliers parlent de roche mère) était imperméable. Les hydrocarbures formés n’ont pas pu migrer, ils sont restés prisonniers de la roche d’origine sous forme de fines gouttelettes dans des micropores ou fixés sur certains minéraux.
On a là des réserves potentielles énormes d’hydrocarbures et donc d’énergie mais aussi de produits de base pour l’industrie chimique (pétrochimie). Avec l’augmentation du prix du pétrole, l’épuisement progressif des réserves, le coût de plus en plus élevé de l’exploitation en mer (offshore profond) les industriels du pétrole se sont tourné vers ces hydrocarbures piégés dit « non conventionnels » qu’on appelle communément « gaz de schiste ».
On est en présence de roches où les hydrocarbures sont restés prisonniers dans des micropores. Certaines de ces roches peuvent être riches. Un m3 de roche mère peut contenir jusqu’à 20m3 de gaz (aux conditions de surface 20° et 1 atm.).
L’idée d’exploiter cette ressource n’est pas nouvelle. Durant les années 40 et 50 du siècle dernier une entreprise la SISBA (Société des Schiste Bitumineux de l’Aveyron) exploitait en carrière à Sévérac le Château des schistes riches en hydrocarbures qui étaient ensuite distillés.
Durant la seconde guerre mondiale le colonel SS Brockamp, responsable de l’approvisionnement du Reich en matières premières développa l’idée d’un vaste ensemble exploitant le même niveau de schistes en Souabe non loin de Stuttgart. Réalisée en 1943-44 l’usine ne put jamais entrer en production. Conscients de l’importance que ce projet revêtait pour l’approvisionnement de l’armée allemande en carburant les alliés rasèrent l’usine par des bombardements massifs.
Les techniques proposées aujourd’hui sont différentes. On n’envisage plus comme à Séverac le Château d’exploiter en carrière.. La ressource est dite non conventionnelle parce qu’on l’extrait pas par les méthodes habituelles et que l’on met en place un traitement spécial à l’aide d’eau et/ou de produits chimiques (dit de stimulation).
Depuis longtemps on sait faire depuis la surface des sondages verticalement. La technique évoluant on a appris à dévier des sondages en oblique. Maintenant on sait à 2500 ou 3000m de profondeur « couder » un sondage à angle droit. A partir d’un axe vertical étanche on « envoie » ainsi des sondages horizontaux qui forent dans la couche visée.
Un peu de technique. En profondeur la pression dans les roches augmente régulièrement. Cette pression est due au poids des roches au-dessus. La pression augmente de 250 bars par kilomètre. La pression de l’eau au fond du trou de sondage augmente seulement (du fait du poids de l’eau) de 100 bars par km. Si toutefois dans le trou on injecte une pression telle que cette pression dépasse les 250 bars par km de profondeur la roche va éclater se fracturer, l’eau va circuler et entrainer les huiles et gaz prisonnièrs de la roche. Très brièvement c’est le principe d’exploitation.
A 3000m de profondeur une surpression de 500 bars suffit à provoquer la fracturation de la roche. On ajoute au liquide de forage en surpression du sable (4%) qui en s’insinuant dans les fractures les empêchera de se refermer et des additifs chimiques. Une fois ce processus enclenché le gaz s’échappera et sera récupéré.
Cette fracturation ne peut pas se propager sur de très grandes distances (une demi-longueur d’une centaine de mètres dans le meilleur des cas). Une fracturation hydraulique en terminaison de puits vertical ne fracturerait la roche qu’au voisinage du forage, ce qui ne permettrait de récupérer qu’une très faible quantité de gaz. Avec un forage horizontal dans la couche de « schistes », on peut fracturer une plus importante quantité de « schistes », et récupérer plus de gaz.
Le secteur drainé par un puits de forage est faible. Si on veut récupérer une partie substantielle du gaz et de l’huile des schistes il faut un maillage très serré des puits d’exploitation avec en surface un impact visible sur le paysage.
Les ressources
Dans le monde, les ressources en gaz de schiste seraient du même ordre de grandeur que celles de gaz conventionnel, et ces ressources seraient géographiquement mieux réparties. Les ressources seraient de l’ordre de 500 mille milliards de mètres cubes.
Les USA, qui se sont lancés les premiers dans cette aventure produisent déjà avec cette technique 14% de leur production totale de gaz et envisagent de porter cette proportion à 45% en 2035.
Avantages et inconvénients des gaz de schistes.
Des avantages il y en a. A KWH produit le gaz produit moins de CO2 que le charbon et le pétrole. Découvrir une nouvelle source d’énergie n’est jamais neutre. La trouver sur le sol national a une importance géostratégique. cela peut permettre de s’affranchir de certaines dépendances d’approvisionnement (aujourd’hui 98% du gaz consommé en France est importé) et aussi de transport (le transport maritime des hydrocarbures reste un facteur de pollution certain et reconnu, qu’on se souvienne de l’Exxon Valdez ou de l’Amocco Cadiz). Ces avantages ne pèsent pas très lourds vis-à-vis des inconvénients de la technique utilisée.
D’abord la méthode d’exploitation utilisée conduit à un maillage serré des puits, chaque forage occupe 10.000 m2 au sol pendant le forage, ensuite il faut maintenir un réseau de pistes ou de gazoducs entre les puits et la densité de ceux-ci est élevée : il faut un puits tous les 500 m à 4000m pour exploiter une couche.
Le forage et la fracturation nécessitent d’énormes quantités d’eau. On parle de 10.000 à 20.000 m3 par forage soit 500 à 1000 camions citernes. Ou trouver l’eau ? Comment retraitée l’eau utilisée, salée, boueuse et polluée chimiquement ? Car en plus de l’eau on injectera des produits chimiques. Certains précédemment utilisés aux USA ont été maintenant reconnus comme toxiques et corrosifs comme le monohydrate de nitritriacétate de trisodium utilisé comme détergent industriel
70% des fluides injectés sont supposés revenir en surface. Que deviennent les 30% non récupérés ? On peut craindre des phénomènes de pollution des nappes souterraines.
Par ailleurs ces roches souterraines riches en huile ont fixé de nombreux métaux lourds en quantité importante (zinc, plomb, cadmium etc). L’injection de fluides sous pression peut entrainer des migrations conséquentes de ces polluants métalliques et un traitement des effluents en surface sera nécessaire.
N’oublions pas que dans notre région une ressource énergétique de choix existe sous nos pieds : la géothermie. Son exploitation est basée sur l’existence d’un aquifère profond situé dans une formation géologique perméable (le Dogger=Jurassique supérieur). L’exploitation du gaz de schiste vise une formation plus profonde (limite Jurassique inférieur et moyen) mais les pressions nécessairement élevées des fluides injectés peuvent perturber le fonctionnement de l’aquifère source de la géothermie.
Le gaz de schiste est une ressource potentielle importante, encore mal connue tant dans sa géologie, ses caractéristiques techniques que ses réserves. Sa méthode d’exploitation pose de sérieuses questions quant aux retombées négatives et de très longue durée qu’elle pourrait avoir sur l’environnement. La sagesse politique commande de freiner des appétits d’exploitation immédiate dont le principal moteur est la réalisation de profits rapides.
Une politique de gestion des richesses serait de garder en réserve ce potentiel pour des générations futures (tout en développant de nouvelles formes d’énergies). Une telle politique n’empêcherait d’ailleurs pas qu’un grand projet de recherche scientifique permette de mieux connaitre la ressource ses spécificités, son potentiel et de proposer d’en tirer parti plus tard en utilisant des méthodes plus respectueuses de l’environnement qui restent encore à développer.
Voilà une analyse du problème des gaz de schistes très précise, scientifiquement étayée, et donc très utile pour se faire une idée. On peut être pour, ou contre, l’exploitation de ces ressources, mais il est souhaitable que les citoyens puissent donner leur avis, et donc au préalable qu’ils soient le plus objectivement possible informés. Le document dialectique rédigé par Yves Fuchs y contribue. Merci à lui.
Les élus de Champigny auront peut-être la possibilité de s’exprimer sur le sujet. A Nogent, je vois mal un tel élément de démocratie se mettre en place, tant la culture du fait accompli est enracinée dans les méthodes municipales.
Bonjour Nogent,
Je vous écris depuis le Kremlin-Bicêtre car je suis fortement impliquée sur le sujet de l’eau en Ile de France. J’appartiens à la Coordination Eau Ile de France et j’ai par ailleurs été très sensible aux problèmes de pollutions de l’eau que vous aviez rencontrés dans les Boucles de la Marne il y a quelques mois.. Il faut effectivement être extrêmement vigilants concernant le Val de Marne et l’exploitation de la nappe phréatique de Champigny : exploration et l’exploitation des pétroles et gaz de schiste. De graves pollutions sont à envisager. La pollution de cette nappe phréatique aurait des répercutions très importantes sur l’approvisionnement en eau potable de notre département mais pas seulement. Nos élu-es locaux ont une responsabilité immense, imminente et finale sur la qualité de notre eau ! Bon courage à vous, ne lâchez pas et intensifiez votre mobilisation !
Marie Isabelle HECK – trésorière de la Coordination EAU IdF