Communiqué de Fabienne Ausserre (Journaliste) et Marc Arazi
Voilà 6 mois que l’Agence nationale des fréquences (ANFR) ne communique pas les résultats détaillés des mesures des 95 téléphones portables testés au quasi contact** de la peau en 2015. Pourtant, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) s’appuie sur leur globalité pour préconiser plus de prudence lors de l’utilisation des téléphones portables dans son rapport Exposition aux radiofréquences et santé des enfants publié le 8 juillet 2016. Ces six mois pendant lesquels, avec l’ANSES et les pouvoirs publics au demeurant, l’ANFR s’est murée dans un silence assourdissant pour gagner du temps nous ont contraints à saisir le tribunal administratif de Melun, le 18 février 2017. Le bras de fer est déjà assez inégal pour ne pas risquer d’attendre encore peut-être des années ces informations capitales. Au regard de l’importance et de l’urgence d’y avoir accès, c’est la voie d’un référé « mesures utiles » qui a été préféré.
Des données cruciales
Il y a un véritable enjeu sanitaire et industriel français et européen derrière l’obtention de ces données. En effet, celles-ci doivent permettre de comprendre comment une grande majorité de fabricants de téléphones portables ont pu mettre en danger la santé de centaines de millions d’utilisateurs depuis au moins l’année 1999…en appliquant des protocoles de mesures des débits d’absorption spécifique (DAS) du tronc et des membres (« DAS corps ») « possiblement incompatibles avec une utilisation réaliste des équipements » (extrait page 72/274 du rapport de l’ANSES).
Globales, les données de l’ANFR rendues publiques en juillet 2016 montrent déjà le caractère complaisant d’une norme européenne qui a permis aux industriels d’effectuer ces mesures en plaçant les téléphones portables jusqu’à 25 mm de la peau de l’utilisateur, au lieu d’effectuer celles-ci en usage réel au quasi contact*.
Sans cet artifice, quasiment aucun fabricant n’aurait pu mettre ses téléphones portables sur le marché. Il est donc bien l’heure que la justice autorise à divulguer les noms des fabricants et les modèles concernés. Pour rappel, 89% des téléphones testés avaient des DAS « tronc » au-dessus des valeurs seuils (2W/kg), dont certains à plus de trois fois la limite (8W/kg).
Le devoir d’alerter les utilisateurs
Si, au regard de ces résultats de mesures de DAS inquiétants, l’ANFR est, en avril 2016, enfin (au bout de 17 ans…) intervenue auprès de la Commission européenne pour que la norme soit durcie, elle a été totalement défaillante pour ce qui concerne la mise en garde des utilisateurs concernés par l’utilisation de ces téléphones mobiles à risque.
Ce manquement est d’autant plus incompréhensible qu’en revanche, elle nous a fait savoir qu’elle avait informé les fabricants. En effet, il est d’usage courant, quand un lot de viande est avarié, quand un modèle de voiture rencontre des problèmes techniques, quand des grille-pain sont défectueux, que les consommateurs soient très rapidement alertés. Alors pourquoi l’ANFR n’a-t-elle pas, pour répondre à son rôle de surveillance du marché, enjoint les fabricants concernés de « mettre en garde » leurs clients ?
Que cache l’ANFR ?
Malgré les manœuvres juridiques de l’ANFR visant à retarder autant que faire se peut la transmission des résultats de ces mesures détaillées de DAS, nous entendons montrer devant le tribunal administratif que ceux-ci doivent au contraire être communiqués et qu’ils auraient même déjà dû l’être depuis des mois :
- L’article R124-1 du code de l’environnement est parfaitement clair. L’ANFR devait communiquer dans le délai d’un mois (repoussé d’un mois en cas de réponse complexe) les données. Or, notre première demande remonte à juillet 2016…
- La commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a, le 17 novembre 2016, rendu un avis favorable à leur communication et le directeur général de l’ANFR a omis de répondre à la sollicitation du président de la CADA
- Au regard de la volonté de transparence de la Federal Communication Commission (FCC) américaine et de Santé Canada, qui publient en ligne, via un site dédié, les mesures des DAS des téléphones portables, l’opacité dont fait preuve l’ANFR est intenable. Pour mémoire, les protocoles de mesure de DAS sont plus contraignants aux Etats-Unis et au Canada (1,6W/kg pour 1 gr de tissu, au lieu de 2 W/kg pour 10 gr de tissu pour le DAS tête en Europe )
Stop à la déloyauté
A travers ce recours devant le tribunal administratif, nous poursuivons des objectifs de court et moyen termes :
A court terme :
- Contraindre a minima les fabricants dont les mesures de DAS montreront des dépassements à mettre leurs clients en garde ; si besoin, les obliger à retirer du marché les téléphones portables à risque, en dédommageant les acheteurs,
- Alerter urgemment les utilisateurs de téléphones mobiles sur les risques qu’ils encourent en les tenant près du corps, en particulier s’ils sont des sujets sensibles (jeunes, femmes enceintes, malades cardiaques…) ; ce rôle échoit aux pouvoirs publics, à travers des campagnes d’information,
A moyen terme :
- Permettre, tant au niveau français qu’européen, la mise en place d’un site dédié permettant à tous les utilisateurs de connaître les DAS (DAS tête, DAS corps) de leur téléphone mobile en tenant compte de l’âge de l’utilisateur,
- Modifier la nouvelle norme européenne d’avril 2016, qui autorise aujourd’hui les fabricants à pratiquer des mesures « à quelques millimètres » de la peau; cette imprécision leur permet, selon nous, d’échapper au risque de poursuites juridiques pour les portables vendus avant juin 2016. Une valeur seuil de 5 millimètres maximum doit désormais être fixée pour le DAS tronc,
- Amener les autorités judiciaires et la DGCCRF à faire toute la lumière sur ces pratiques, non seulement déloyales, mais trompeuses.
* la paternité de ce terme revient à Pierre Le Hir (Le Monde du 23 décembre 2016) « Soupçons sur les ondes des téléphones portables »
** à 5 millimètres maximum
Nos précédents communiqués :
- 5 janvier 2017 De possibles sanctions pénales des fabricants empêche-t-elle l’ANFR de communiquer ?
- 13 décembre 2016 Téléphones portables : de nouvelles preuves du scandale industriel et sanitaire européen
-
5 décembre 2016 L’ANFR joue la montre… aux dépends des utilisateurs de téléphone portable
28 novembre 2016 Devoir de transparence de l’ANFR : le rappel à l’ordre de la CADA
21 juillet 2016 Téléphone portable : les zones d’ombre du rapport de l’ANSES